Atelier philo: Pourquoi critiquer les personnes plutôt que leurs idées?
Voici quelques semaines, le leader de l’opposition, Pierre Poilièvre (chef du Parti Conservateur du Canada) a été exclu pendant quelques heures de la chambre des communes pour avoir traité le premier ministre Justin Trudeau de «cinglé» («wacko» en anglais). Dans un récent article, j’en profitais pour mettre en lumière un biais cognitif illustré par cet incident: l’attaque ad personam. Au-delà de celui-ci, une question importante me paraît pouvoir être soulevée: pourquoi critique-t-on parfois les personnes plutôt que leurs idées?
Être confronté à la divergence, à l’opposition ou au désaccord fait partie intégrante de l’expérience humaine, tout comme le fait d’apprendre à vivre avec autrui. Peu importe l’échelle (famille, amis, collègues, concitoyens, etc), dès l’enfance et tout au long de la vie, nous n’allons cesser d’être confronté et mis au défi du vivre-ensemble et de l’altérité.
Apprendre à dialoguer, à débattre, à échanger avec d’autres personnes qui n’ont pas toujours le même point de vue que nous n’est pas une sinécure. Cela implique en effet un nombre important d’aptitudes complexes: savoir ce que l’on pense, entendre le point de vue de l’autre, identifier les raisons légitimes de se remettre en question ou encore donner à nos émotions leur juste place quand elles alimentent notre vision du monde.
Avec cette activité, vous allez leur proposer une occasion de s’interroger et d’entraîner leur muscle du vivre-ensemble et d’une «gestion» plus harmonieuse de leurs rapports à l’Autre. En effet, inviter les élèves à réfléchir à la distinction entre la critique d’une personne et la critique de ses idées va leur permettre de prendre du recul, de remettre de la nuance dans leurs jugements et de mettre du «lubrifiant» dans leurs rapports aux autres et à la divergence
Type de tâche : Atelier philo
Durée approximative : 50 minutes
Consigne
Faire lire à vos élèves le texte «Pourquoi attaquer les personnes plutôt que leurs idées?». Demandez-leur ensuite de formuler, par petite équipe de deux, une question philosophique sur ce sujet. Les critères d’une telle question sont simples :
- elle doit être ouverte
- elle n’a pas une seule «bonne» réponse ni de réponse définitive
- elle doit pousser à la réflexion
- elle doit être universelle (autrement dit, concerner tout le monde).
En choisissant une de leurs questions, proposez-leur alors un moment de discussion dont le but n’est pas de trouver la bonne réponse ni de convaincre les autres de penser comme elles ou eux. Mais plutôt de donner du sens, ensemble, à une question complexe.
Voici une liste de questions qui pourraient vous être utiles pour relancer les échanges de vos élèves. Vous n’êtes pas obligé.es de toutes les utiliser évidemment ! Vous êtes libres d’en piger quelques-unes, en fonction des directions empruntées avec vos élèves dans la discussion. En somme, elles sont juste là en cas de besoin, afin d’amener vos élèves à approfondir ou à nuancer leurs réflexions. Mais aussi à prendre conscience qu’ils sont capables de réfléchir et de donner du sens à une question qui les concerne toutes et tous.
- Quelle différence y a-t-il entre ce que quelqu’un pense et ce que quelqu’un est?
- Quelle différence y a-t-il entre ce que quelqu’un fait et ce que quelqu’un est?
- Dire parfois des bêtises et être bête, est-ce la même chose?
- Dire parfois des mensonges et être un menteur, est-ce la même chose?
- Pourquoi est-ce parfois plus facile de critiquer les gens que de critiquer leurs idées?
- Quelle est la différence entre critiquer et insulter?
- Y a-t-il de «bonnes» et de «mauvaises» manières de critiquer?
- Peut-on être ami(e) avec quelqu’un sans être toujours d’accord avec lui/elle?
- Est-ce toujours facile de discuter avec des gens qui ne partagent pas les mêmes idées que nous?
- Est-ce toujours facile de vivre en compagnie de gens qui sont différents de nous?
- Changer d’avis et se remettre en question, est-ce facile?
- Changer d’avis et se remettre en question, est-ce changer qui on est?
- Changer d’avis et se remettre en question, est-ce une qualité ou un défaut?
- Comment peut-on apprendre à «mieux» critiquer?
- Comment peut-on apprendre à «mieux» se remettre en question?
Pour éviter de glisser, dans nos relations avec autrui, vers l’acrimonie, le rejet ou les jugements hâtifs, l’école - tout comme la famille - est un endroit où il est impératif d’apprendre à développer des compétences à cet égard.
Dans son préambule, le programme de CCQ ne dit pas autre chose quant à l’importance de l’apprentissage de telles compétences: Devant la multiplication des points de vue, parfois polarisés et exprimés dans l’instantanéité(...) et les débats relatifs aux frontières de la culture commune, il est requis de développer les habiletés intellectuelles et les attitudes nécessaires pour participer de manière éclairée et active à la discussion collective.
La liberté d’expression en démocratie est un droit fondamental qui rend également incontournable le développement de connaissances, de savoir-faire et de savoir-être favorisant le respect et la reconnaissance d’autrui.
De plus, la question de la distinction entre une personne et ses idées apparaît dans toute son importance dans les fondements du programme de CCQ: «La reconnaissance de soi est une des conditions du développement de la pensée critique, puisque sans reconnaissance de sa propre valeur, indépendamment des différents regards critiques qui peuvent être portés sur ses idées et ses valeurs, il est difficile de procéder à une mise à distance de celles-ci et d’en faire l’examen.
La philo: comment on fait?
- Faire de la philo ce n’est pas juste parler, discuter ou dire ce qu’on pense. Ce n’est pas non plus empiler ou juxtaposer des opinions ou des idées, en prenant un air sérieux. C’est autre chose: il s’agit plutôt d’un dialogue, où on essaie de penser ce qu’on dit. Et pas juste de dire ce qu’on pense!
- Pour penser de façon critique, on peut s’appuyer sur des habiletés de pensée comme: définir les mots dont on parle, donner des exemples et des contre-exemples, mais aussi réfléchir aux conséquences et aux implications de ce qu’on dit.
- D’autres aptitudes sont importantes à développer: reformuler ses idées ou celles des autres (pour s’assurer qu’on se comprend bien), donner des raisons quand on avance une idée, ou encore identifier des critères permettant de classer nos idées et de les distinguer entre elles.
- En philosophie, il est primordial de se méfier des évidences, des réponses toutes faites et des vérités qu’on voudrait nous imposer. On essaie autant que possible de décrypter et de déconstruire les préjugés, les stéréotypes et idées présentées comme «l’évidence», le «gros bon sens» ou «ce que tout le monde sait».
- En philosophie, le but n’est pas de convaincre, mais de comprendre. C’est aussi de comprendre en quoi les sujets dont on parle et les questions qui en découlent nous concernent toutes et tous.
- Une chose essentielle: on découvre petit à petit qu’il est impossible (et heureusement!) d’arriver à des réponses qui sont «bonnes», définitives ou identiques pour chacun. Les réponses deviennent plus comme un horizon vers lequel on tend plutôt que comme un résultat qu’on voudrait obtenir.
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