Atelier philo: Peut-on nous protéger contre nous-mêmes?
À la fin du mois d’avril, notre collègue Caroline nous a exposé le projet du gouvernement britannique d’interdire à une génération entière d’avoir accès au tabac. Le premier ministre britannique Rishi Sunak et son gouvernement ont en effet voté pour interdire la vente de cigarettes et de vapoteuses aux jeunes nés après le 1er janvier 2009.
En abordant ce thème, les élèves se voient offrir une opportunité de réfléchir à ce qui peut amener un gouvernement à prendre des mesures aussi radicales au nom de la protection de la santé.
Avec cette activité, vous aurez donc l’occasion de dialoguer avec vos élèves sur ce sujet qui suscite une certaine polémique en Grande-Bretagne et dont ils pourront mesurer les tenants et les aboutissants, en imaginant qu’ils prennent place dans la société québécoise. En leur donnant des outils relevant du dialogue et de la pensée critique, vous leur permettrez de réfléchir à ce sujet important: celui du sens à donner à des lois qui, au nom d’un impératif de santé, prennent parfois le visage d’une injonction radicale.
Type de tâche: Atelier philo
Durée approximative: 50 minutes
Consigne
Invitez vos élèves à lire l’article de notre collègue Caroline «Le Royaume-Uni dit bye-bye tabac !». Demandez-leur ensuite de formuler, par petite équipe de deux, une question philosophique sur ce sujet.
Les critères d’une telle question sont simples:
- elle doit être ouverte
- elle n’a pas une seule «bonne» réponse ni de réponse définitive
- elle doit pousser à la réflexion
- elle doit être universelle (autrement dit, concerner tout le monde).
En choisissant une de leurs questions, proposez-leur alors un moment de discussion dont le but n’est pas de trouver la bonne réponse ni de convaincre les autres de penser comme elles ou eux. Mais plutôt de donner du sens, ensemble, à une question complexe.
Voici une liste de questions qui pourraient vous être utiles pour relancer les échanges de vos élèves. Vous n’êtes pas obligé.es de toutes les utiliser évidemment ! Vous êtes libres d’en piger quelques-unes, en fonction des directions empruntées avec vos élèves dans la discussion.
En somme, elles sont juste là en cas de besoin, afin d’amener vos élèves à approfondir ou à nuancer leurs réflexions. Mais aussi à prendre conscience qu’ils sont capables de réfléchir et de donner du sens à une question qui les concerne toutes et tous.
- Certaines interdictions sont-elles utiles?
- Certaines interdictions sont-elles plus difficiles à respecter que d’autres?
- Certaines interdictions nous rendent-elles plus libres?
- Y a-t-il des « petits » et des « grands » interdits?
- Pourquoi veut-on parfois faire certaines choses même quand on sait qu’elles sont interdites?
- Comment savoir si quelque chose est bon pour nous?
- Pourquoi adopte-t-on parfois des comportements dont on sait qu’ils ne sont pas bons pour nous?
- Les parents savent-ils parfois mieux que nous ce qui est bon pour nous?
- Nos amis savent-ils parfois mieux que nous ce qui est bon pour nous?
- Les scientifiques savent-ils parfois mieux que nous ce qui est bon pour nous?
- L’État sait-il parfois mieux que nous ce qui est bon pour nous?
- Être libre d’adopter un comportement qui peut nous rendre dépendant, est-ce vraiment une liberté?
- Interdire l’accès à un produit qui peut provoquer une dépendance, est-ce vraiment injuste?
- Pourquoi certaines choses sont-elles interdites aux enfants et pas aux adultes?
- Quelle est la différence entre obéir à/respecter/adhérer à une interdiction?
Si vous n’avez jamais mené de discussion philo avec vos élèves, voici quelques repères pour que celle-ci se déroule au mieux.
La philo: comment on fait?
- Faire de la philo ce n’est pas juste parler, discuter ou dire ce qu’on pense. Ce n’est pas non plus empiler ou juxtaposer des opinions ou des idées, en prenant un air sérieux. C’est autre chose: il s’agit plutôt d’un dialogue, où on essaie de penser ce qu’on dit. Et pas juste de dire ce qu’on pense!
- Pour penser de façon critique, on peut s’appuyer sur des habiletés de pensée comme: définir les mots dont on parle, donner des exemples et des contre-exemples, mais aussi réfléchir aux conséquences et aux implications de ce qu’on dit.
- D’autres aptitudes sont importantes à développer: reformuler ses idées ou celles des autres (pour s’assurer qu’on se comprend bien), donner des raisons quand on avance une idée, ou encore identifier des critères permettant de classer nos idées et de les distinguer entre elles.
- En philosophie, il est primordial de se méfier des évidences, des réponses toutes faites et des vérités qu’on voudrait nous imposer. On essaie autant que possible de décrypter et de déconstruire les préjugés, les stéréotypes et idées présentées comme «l’évidence», le «gros bon sens» ou «ce que tout le monde sait».
- En philosophie, le but n’est pas de convaincre, mais de comprendre. C’est aussi de comprendre en quoi les sujets dont on parle et les questions qui en découlent nous concernent toutes et tous.
- Une chose essentielle: on découvre petit à petit qu’il est impossible (et heureusement!) d’arriver à des réponses qui sont «bonnes», définitives ou identiques pour chacun. Les réponses deviennent plus comme un horizon vers lequel on tend plutôt que comme un résultat qu’on voudrait obtenir.
Réfléchir à une telle thématique peut s’avérer pertinent dans le cours de CCQ, qui s’inscrit d’ailleurs plus largement, comme on l’oublie parfois, dans le domaine du développement de la personne, avec le programme Éducation physique et à la santé.
À ce titre, comme on peut le lire en préambule du programme, les habiletés de réflexion critique que les élèves développent en Culture et citoyenneté québécoise peuvent être mobilisées en Éducation physique et à la santé, lorsque vient le temps de réfléchir à l’éthique dans le sport et aux saines habitudes de vie. La question du tabagisme, de ses ravages, de sa prévention et de la place qu’il occupe dans la société apparaît sans conteste comme relevant de cet enjeu des saines habitudes de vie.
Un des axes du programme de CCQ vise à examiner des réalités culturelles (au 2e cycle) et à réfléchir de façon critique sur celles-ci (au 3e cycle). Dans les deux cas, la dynamique de la compétence invite les élèves à développer les aptitudes suivantes :
- Identifier des divergences ou des tensions
- Identifier des points de vue ainsi que les idées et les repères qui y sont associés
- Dégager des émotions
- Comparer des idées et des repères
- Formuler des constats
Aborder avec les élèves cette thématique de l’interdiction du tabac peut donc être l’occasion de mobiliser ces compétences, en les invitant à déplier quelles sont les tensions en présence, les points de vue des différents acteurs concernés, les émotions qui s’expriment face à ce sujet et les différents repères sur lesquels s’appuyer pour poser des constats et des jugements sur le bien-fondé d’une telle mesure.
Réalisé avec le soutien du