Les guépards du premier ministre
Frédérick Lavoie, journaliste et auteur, aime fusionner journalisme et littérature. Laisse-le te raconter un véritable récit à la manière d’un conte. Parfois, la réalité surpasse l'imaginaire!
Il est une fois à notre époque un premier ministre qui voulait voir courir dans son pays l’animal le plus rapide de la terre.
L’Inde comptait autrefois une grande population de cet animal, le guépard. La chasse abusive et la destruction des habitats naturels ont toutefois fait disparaître le dernier de ces félins tachetés il y a bien longtemps.
Au cours des dernières décennies, plusieurs personnes ont songé à importer des guépards d’autres pays pour les remettre en liberté en Inde. Mais tous ces projets ont été abandonnés. Car les avertissements des scientifiques étaient clairs: le guépard est un animal capricieux et fragile. Chaque individu nécessite un vaste territoire de chasse. Si on transfère soudainement une population de la savane africaine à la jungle indienne, la plupart des spécimens risquent de ne pas survivre.
Mais le premier ministre ne voulait rien entendre. Faire réapparaître une espèce disparue est un pouvoir qu’on croit généralement réservé aux dieux! Il voulait goûter à ce pouvoir!
Les premières victimes de son rêve fou n’ont pas été les guépards, mais des humains. Pour préparer la venue des félins, le gouvernement a déplacé des centaines d’Autochtones habitant la jungle. Ces Autochtones étaient habitués de cohabiter avec des animaux, même les plus féroces. Ils savaient comment respecter les bêtes et se faire respecter par elles.
Or, pour le premier ministre, cela n’était pas important. La renaissance de la population de guépards serait un symbole de sa puissance. Il ferait aussi rouler l’économie du pays en attirant des touristes prêts à payer cher pour un safari!
Le jour de son soixante-douzième anniversaire, le premier ministre a réalisé son rêve. Les huit premiers guépards tout juste arrivés d’Afrique ont été remis en liberté dans un parc national. Dans les mois suivants, douze autres félins sont venus s’ajouter à la population. Une guéparde a même donné naissance à trois petits sur le sol indien. Une première!
Rapidement toutefois, le rêve a tourné au cauchemar. Tel qu’on l’avait craint, les nouveaux-nés n’ont pas survécu à la chaleur suffocante de l’été indien. Ils sont morts déshydratés.
Des guépards adultes, qui étaient en parfaite santé à leur arrivée, ont aussi commencé à mourir. Deux d’entre eux sont décédés à la suite d’une infection causée par un collier que les humains leur avaient maladroitement passé autour du cou. D’autres félins ont tout simplement été incapables de s’acclimater à leur nouvel environnement.
En quelques mois, près de la moitié des guépards d’Inde sont morts. Plusieurs parmi les survivants demeurent à ce jour très faibles.
Comme quoi même les premiers ministres les plus puissants ne sont pas au-dessus de la loi de la jungle.
Cette histoire a bien eu lieu en 2022. Il y a exactement un an, huit guépards d'Afrique ont été relâchés dans le parc national de Kuno, en Inde. Le premier ministre dont il est question est Narendra Modi et il est toujours au pouvoir. Son Projet Guépard est vivement critiqué par les groupes de défense de l'environnement. Ils pensent que ce projet sert plus à flatter son ego qu'à véritablement aider ces félins.